Inspirations visuelles

Cela fait 11 ans maintenant que je tiens ce blog et j’ai cumulé de nombreuses expériences. J’ai changé plusieurs fois de voies, d’orientations, de villes. Je me suis cherchée et à défaut de savoir si je me suis trouvée, j’ai acquis des expériences qui me permettent de mieux savoir ce dont j’ai envie. Surtout, je suis sans doute un peu plus consciente de mes choix, et la maturité fait acquise fait que je subis un peu moins les choses. Aujourd’hui j’avais envie d’évoquer mes inspirations visuelles, celles qui ont façonnés mes goûts et ce que j’ai envie de produire. C’est loin d’être exhaustif, c’est ce à quoi j’ai pensé en préparant ce billet. D’ailleurs, je dis « aujourd’hui » mais j’ai en réalité réfléchi à ce que je te dis maintenant plusieurs jours durant.

Luttant contre la frustration d’être limitée à 1 Km de rayon de détente autour de mon domicile, j’ai entrepris de parcourir les livres de référence que j’ai chez moi. Ils ont en partie forgé mes envies et le genre d’images qui me touchent.

Culture documentaire

Il est probable que cette tendance provienne de mes anciennes aspirations au journalisme, mais aussi à ma fascination pour les carnets de voyage. Je me rappelle, que jeune enfant déjà, j’aimais les carnets de voyage d’Eugène Delacroix 1. Mes sœurs m’offrirent mes premiers carnets et mes premiers sets d’aquarelle, c’est ainsi que tout a commencé. Puis je découvris un jour le dessin d’après modèle vivant, le mouvement des Urban sketchers, et je me sens totalement en phase avec ça.

Urban sketching, c’est le croquis urbain, ou du moins sur place. C’est littéralement capturer le monde avec un crayon. Même si tous les carnettistes ne se revendiquent pas de ce mouvement, moi la dernière pour des raisons de type “syndrome de l’imposteur”, il y a un toujours quelque chose qui se passe dans un croquis réalisé in situ.

Mais dans une logique de choix, de langage choisi, je n’aime pas dessiner d’après une photographie. Sauf pour étudier ou trouver une référence, je déteste reproduire une photo. Cela me fait oublier d’opérer des choix : ce que je veux mettre en valeur, montrer, représenter.

Je voudrais aller et choisir ce que je veux représenter car c’est l’essence du souvenir que je souhaite en garder. Écrémer les détails pour ne conserver que le sentiment de l’instant. Comme dans l’écriture d’une nouvelle, chaque détail devient d’une importance capitale car il s’agit d’opérer le choix de ne pas tout décrire. Par économie de moyens aussi, et pourquoi pas ?

Affiche de Leonetto Capiello, Bibliothèque nationale de France, ENT DN-1 (CAPPIELLO,Leonetto/11)-GRAND ROUL

Les vides dans une image me paraissent aussi intéressants que les pleins. Si tu te rappelles de Leonetto Capiello 2, tu sais que le vide autour d’un motif est très important pour le mettre en exergue.

Tu vas me dire que pour une photo, ce n’est pas évident de faire du vide dans sa composition puisque cela capture tout. Surtout pour moi qui ne zoome quasiment jamais, et qui capture tout entre 35 et 50 mm de focale. Encore la culture du photojournalisme sans doute, les études, ça marque. Je ne dis pas que j’y arrive mais j’aime les images contemplatives où il semblerait ne pas se passer grand chose. Des compositions figées (logiques) mais où le regard pourrait pourtant fuir. J’ai envie de te citer Edward Hopper 3 dont les tableaux m’inspirent ce genre de sentiment.

Edward Hopper, Intérieur côté est, 1922, Whitney Museum of American Art.
Edward Hopper, High Noon, 1949

Au passage, j’aime assez la définition de la photographie conceptuelle. Où le photoconceptualisme propose des images en noir et blanc, en petit format sans grande attention à la qualité du tirage. C’est une économie de moyens formelles et volontaire qui se rapproche de la photographe documentaire.

Bern et Hilla Becher, Châteaux d’eau, 1980, 9 photographies au sel d’argent, 40,5 x 30,5 cm chacune, Houston, Museum of Fine Art
Extrait de L’art moderne et contemporain sous la direction de Serge Lemoine. 4

Des teintes froides ?

J’aime le bleu. C’est la couleur du ciel et de horizon. Je passe beaucoup de temps à regarder le ciel. J’ai vécu un temps dans un appartement sans vraiment de fenêtre et c’était l’enfer absolu. En peinture, j’ai toujours été à l’aise avec le bleu de Prusse. J’aime le bleu, et j’aime l’heure bleue. Peut-être encore plus que l’heure magique ou « golden hour » que l’on trouve toujours si flatteuse. Le bleu du jour et le bleu de la nuit, le bleu des ombres et celui des reflets.
Connais-tu les aquarelles de Félix Ziem ?

Felix Ziem, Le Moulin, dit “moulin de Daudet” près de Martigues, [1890-1895], huile sur bois, 62 x 85,5 cm
Extrait de J’ai rêvé le beau. Felix Ziem, peintures et aquarelles du Petit Palais, Paris 5
Place du Forum, Reims, mars 2020
Hôtel Mercure Kensington, Londres, mars 2020
Hôtel Mercure Kensington, Londres, mars 2020

Pour retrouver des sous-teintes froides dans les photographies, on me conseilla récemment le film Fuji pro 400h. Je n’ai pas encore essayé.

Cadres et structures

C’est un petit peu une redite sur ce que j’ai évoqué plus haut au sujet des vides. Mais si j’aime mettre en valeur un sujet en l’entourant de vide, j’aime aussi le cadrer. Je crois qu’une des images que je préfère, parmi celles que j’ai moi-même produites, il y a cette gravure rouge sur craft où l’on voit mon vélo par le cadre de la fenêtre.

Ma première linogravure.

Cette histoire de cadres, de lignes, m’obsède parfois un peu. J’aime les superpositions de Francois Morellet 6 qui me troublent presque.

François Morellet, Superposition d’une surface avec cette même surface basculée à 5°, 1980. Ruban adhésif sur mur et fenêtre Bienne, Galerie Fritz Bühler.

Il y a un aspect presque dérangeant. Je les ressens comme des suggestions de nouveaux cadres. Ils cachent et révèlent l’ordinaire pour lui donner une nouvelle dimension. Cela me pousse à attacher un peu plus d’attention à la banalité.

J’ai par ailleurs posé un marque-page dans mon livre, lorsque j’ai lu ceci :

On dit que les photographes sont venus juste à temps pour remplacer les peintres qui ne “voulaient” plus représenter la nature. Si ce n’est pas parfaitement exact, on peut cependant dire que la photographie a sûrement hâté le mouvement des artistes vers un art non naturaliste.
Le même processus existe à l’heure actuelle vis-à-vis du choix. On voit des artistes de plus en plus nombreux qui refusent dans la fabrication des œuvres d’art ce choix même arbitraire de chaque instant, alors qu’au même moment apparaissent des machines, cerveaux électroniques de plus en plus perfectionnés, qui pourraient remplacer l’artiste dans une grande partie de ses démarches.

“Le choix dans l’art actuel” (1965) ; repris dans François Morellet, Mais comment faire taire mes commentaires, Paris, École nationale supérieure des beaux-arts, “Écrits d’artistes”, 2003 (2nde édition), p.21.
Extrait de l’album d’exposition “François Morellet. Réinstallations”, présentée au Centre Pompidou du 2 mars au 4 juillet 2011. 7
Serre dans le Barbican Centre, Londres, mars 2020
Serre dans le Barbican Centre, Londres, mars 2020
Intérieur de The Design Museum, Londres, mars 2020
Intérieur de The Design Museum, Londres, mars 2020

J’adore absolument l’école Bauhaus 8 où Vassily Kandinsky enseigna. La lecture de Point et ligne sur plan 9 m’avait fait réaliser à quel point je suis mauvaise et comme la composition d’une image est un domaine vraiment incroyable pour moi.

Vassily Kandinsky, On White II, huile sur toile, 105 cm x 98 cm, Musée National d’Art Moderne, Paris

Je ne sais pas si je suis plus fan de Vincent Van Gogh ou de Vassily Kandinsky, mais les deux se font sérieusement concurrence dans mon cœur. Dans deux registres totalement différents pourtant. Piet Mondrian suit de très près le classement. Non, bien sûr qu’il n’y a aucun classement pour moi. Quelle idée ? Mais je compte bien garder cette part de naïveté qui me fera me dire “wouah” à chaque fois que je revois une œuvre.

Vassily Kandinsky, The Red Tree 1908-1910, huile sur toile, 70 × 99 cm, Gemeentemuseum Den Haag.
Piet Mondrian, Composition with Yellow, Blue and Red, 1937-1942, huile sur toile, 72.7 × 69,2 cm, Tate Modern de Londres

Non conclusion

Je ne sais pas vraiment comment terminer ce billet, et je ne pense pas que cela soit possible. J’ai oublié de te parler de beaucoup de choses, de références que j’aime et qui m’inspirent. Je ferai un peu plus d’efforts pour te partager cela, aussi pour essayer de moins faire de billets fleuves (trop ?) chaotiques.

Cela fait 11 ans que l’on se tutoie ici. Peut-être es-tu arrivé en cours de route, je ne sais pas, mais merci d’être là.

  1. Eugène Delacroix (1798-1863)
  2. Leonetto Capiello (1875-1942), peindre et illustrateur français
  3. Edward Hopper (1882 -1967), peintre américain
  4. L’art moderne et contemporain sous la direction de Serge Lemoine, sur Amazon, sur Place des Libraires, sur Recyclivre.
  5. J’ai rêvé le beau: Felix Ziem peintures et aquarelles du Petit Palais, Paris. ed. Broché sur Amazon, sur Place des Libraires
  6. François Morellet (1926-2016), artiste français
  7. Album d’exposition “François Morellet. Réinstallations”, présentée au Centre Pompidou du 2 mars au 4 juillet 2011, sur Amazon, sur Place des Libraires.
  8. École Bauhaus fondée en 1919 par l’architecte Walter Gropius. On y enseignait les beaux-arts, les arts appliqués, pour les intégrer à l’architecture.
  9. Vassily Kandinsty, Point et ligne sur plan, sur Amazon et sur Place des Libraires

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