Tourner la page avant la fin de la ligne

Il est étonnant de voir à quel point certaines activités permettent de révéler des choses sur son propre caractère.

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forges

Une vingtaine de pages seulement, couverture cartonnée fine et souple, feuilles de papier tout juste opaques, format passeport. Ce jour, assise sur le banc du pont de bois devant le musée d’Orsay, le regard perdu dans la baie vitrée du Grand Palais, j’ai encore tourné une page. À chaque fois que j’hésite, je préfère alors ne pas m’attarder à trop réfléchir et je saute le pas. C’est de cette manière qu’avant chaque billet je ferme les yeux pour enfin appuyer sur ce bouton “Publier”.

Encore une page tournée sans avoir terminé la précédente.

Au stylo toujours pour ne pas être tentée de gommer pour mieux rectifier, je griffone sur une page ou une double-page un entremêlements de lignes qui forment des noeuds et des chemins pour faire croire que le tout représente un motif intelligent.

Et soudainement j’hésite. Durant des heures, je me suis attachée à ce dessin si important et dans lequel j’ai mis tant de convictions. Mais il semblerait qu’il fasse plus frais sur le pont, que l’ambiance soit plus sombre, que l’après-midi laisse sa place pour me rappeler soudainement que je dois retourner à la mienne.

Alors je lève mon stylo de la feuille et je regarde avec les yeux froncés ce que je me suis appliquée à réaliser. Je ne sais pas, peut-être, je ne sais plus. C’était bien au début, et puis il y a ce trait de trop dont je ne sais quoi faire, ce surplus d’ombre que je n’aurais pas du laisser faire, cette courbure trop marquée.

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Je tourne la page avant la fin de la ligne.


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