Le jour où j’ai appris les intonations

Voici un billet écrit un peu tardivement pour me remettre en jambes. Ou en neurones, ou en dactylographie. Je profite de la présence de ce magnifique nouveau clavier si agréable pour rédiger cette note. Après plusieurs journées d’arrêt forcé en raison d’un très méchant virus venu perturber mes plannings, il faut que je redémarre progressivement mon cerveau. Comment on fait déjà, pour réfléchir, mettre en ordre des idées et les synthétiser dans un rendu qui est censé communiquer quelque chose d’intelligible, ou même d’intelligent ? Ceux qui me connaissent diront que cela a été particulièrement stupide de ma part de déménager et porter activement des cartons alors que je couvais déjà cette espèce de bronchite mutante. Je leur donne raison.

Parmi les souvenirs d’enfance qui remontent parfois en moi, il y a cette soirée où je me souviens avoir appris les intonations à employer pour se faire comprendre. Ayant grandi dans un contexte bilingue, entre le khmer à la maison et le français à l’extérieur, je sais que je n’ai jamais ressenti aucune difficulté à différencier l’un de l’autre. Cependant, quelques nuances sont plus difficiles à saisir. Je ne sais pas trop si mes peines sont causées par une contraste culturel ou un manque d’habiletés sociales (sûrement les deux), mais je me souviens bien de cette soirée en classe dE CP où j’apprenais à lire. Non pas vraiment, j’apprenais la ponctuation et plus particulièrement les intonations à prendre lorsqu’il fallait être content ou interrogateur.

C’était une grande page d’un livre pour apprendre la lecture. Plusieurs personnages dessinés clament une phrase chacun. Une seule phrase. Quelque chose comme : « C’est Olivier ? » et « Oui, c’est Olivier ! ». Je me souviens précisément de ces deux phrases, et qu’Olivier était l’un des personnages de ce livre. Il fallait comme chaque jour ou presque lire des pages et les répéter. J’étais alors déjà inscrite en classe d’études où je restais jusqu’à 18h le soir avant que mes parents ne viennent me chercher à l’école. J’étais là pour faire mes devoirs et je sais que cela m’a beaucoup aidée. Durant la journée, nous avions appris à lire ces phrases et à exprimer l’interrogation puis l’exclamation, le contentement. Lorsque ce fut mon tour de passer pour lire mes pages au professeur présent ce soir là, j’ai récité presque théâtralement « C’est Olivier ? ». Je me souviens du regard du professeur et du ton de sa voix. Je ne comprenais pas bien sa réaction et je me contentais de réciter ma leçon. Maintenant, le recul me fait comprendre qu’il était sûrement assez étonné ou même agacé de voir cette petite fille se donner autant de mal à monter sa voix sur la fin de la phrase afin de bien faire comprendre que c’était une question. J’étais ainsi, je ne parlais qu’en emphase car j’étais persuadée que c’était ce qu’il fallait faire pour être comprise sans quiproquo. Une tonalité apprise pour être comprise. Mais aussi une tonalité apprise pour déterminer ce que l’on me dit. Aujourd’hui les choses sont plus simples. J’ai grandi et j’ai appris. Je n’ai plus l’énergie de me poser trop de question non plus, préférant être plus directe afin de m’épargner des secondes, minutes, ou heures de doute. Lorsque l’on me déclare quelque chose, j’ai tendance à demander directement : « C’est une question ou une affirmation ? ». À l’inverse, je m’entends également être très agacée lorsque j’affirme un fait et que l’on me répond « Je ne sais pas. ». Mais puisque je te le dis !

Communiquer, c’est vraiment compliqué.


La photo qui illustre ce billet fut prise avec un appareil photo argentique Pentax Spotmatic et un film Cinestill 800t.


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