Amputée de mon oeil mécanique

Si heureuse de retrouver un peu de temps sur lequel j’étais totalement libre quant à son application, j’ai pris mon sac à dos et je suis partie me promener. Oui, me promener, un samedi… je ne suis pas restée chez moi enfermée pour travailler.

Dans mon sac à dos, il y avait un portefeuille, ma carte de transport, une veste, et mon appareil photo.

Peu chargée

Mon appareil est un Canon 500D acheté en été 2010 grâce à plusieurs années d’économies étudiantes et un premier salaire honorable. J’avais craqué, je m’étais offert l’objet de convoitise : mon premier appareil photo reflex. C’était un moment quelque peu émouvant.

Les lecteurs réguliers savent mon attachement à la photographie. Non ce n’est pas une passion, c’est un attachement. J’aime la photographie comme j’aime le dessin, je les aime. Ce ne sont pas de vaines activités de loisirs, car je m’y verse. À travers eux j’exploite la physique pour exprimer le spirituel : mon point de vue. Un point de vue qu’on nous demande tellement peu. Lorsque je prends une photo ou lorsque je dessine, ce n’est pas l’image parfaite que je recherche. C’est moi-même. Parce qu’en produisant toutes ces images, je pars à la rencontre de ma propre image. Celle qui contiendra ma patte entre les lignes et qui sera reconnaissable comme étant mienne. Comme une carte d’identité.

C’est pourquoi je voulais tellement un appareil reflex, pour pouvoir le manipuler. Je voulais physiquement sentir les réglages que j’opérais, je voulais apprécier l’impact de la lumière sur ce petit capteur. Il me fallait être imprégnée de cette métamorphose d’un simple rayon de lumineux vers des pixels rouges, verts et bleus.

Alors ce jour-là, je suis sortie munie de mon boîtier avec seulement l’objectif 50 mm f/1.8, pour avoir l’essentiel. Juste de quoi exploiter mes yeux et trouver des cadres intéressants.

Dark Shadows

Tim Burton, tu ne te rends pas compte à quel point le titre de ton dernier film est approprié pour moi.

Ce jour-là, je suis allé au cinéma Gaumont Opéra à Paris pour passer un bon moment de détente. Arrivée juste à l’heure à 19h45 pour la séance de 19h35, j’ai trouvé une place tout au fond de la salle au moment même où le logo Warner apparaissait à l’écran. Chanceuse, j’avais réussi à ne rater aucune seconde du film malgré mon retard. J’étais alors rassurée, j’ai posé mon sac à dos à mes pieds. Un sac à dos Eastpack vert.

Mouvement

Je sursaute. Quelque chose m’a touché les pieds. Non c’est impossible, j’ai sans doute rêvé. Je me dis que ce sont certainement mes talons qui se sont rencontrés sans que je ne m’en rende compte. Toute mon attention était portée sur le film, la belle Eva Green tentait de séduire Johnny Depp.

Où est mon sac ? Je panique, mes bras cherchent mon sac. Quelqu’un l’a pris pendant un moment d’inattention de ma part ?

Je le retrouve, à une vingtaine de centimètres de mes pieds. Il est sans aucun doute tombé sur le côté. cela arrive fréquemment avec ce type de sac. Je le pose debout et il tombe.

Retour chez soi

Un petit tour de RER, un trajet de bus et cinq étages plus tard, j’ouvre mon sac. Mon appareil photo n’y est pas. Je ne pleure même pas, je ne panique même pas car je sais ce qui s’est passé. Il n’y a aucun doute. Un sac à dos avec une veste au fond ne peut pas tomber tout seul, il faut le pousser pour cela. Il n’y avait aucune raison pour que je le retrouve si loin de mes pieds.

J’enrage, j’enrage de douleur. Un seul mot me vient : amputation.

 


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