Mata Hari est-elle devenue une légende car elle était cruche ?

Lecture de la biographie de Mata Hari écrite par Anne Bragance aux éditions Belfond tout juste terminée, je peux enfin vous en parler.

Mata Hari est un nom inscrit dans ma liste des personnes dont je dois lire la biographie, pour mieux connaître leur légende et surtout mieux comprendre ce qui a fait d’eux des personnages quasi légendaires. Et lorsqu’il s’agit de légende autour d’une personne ayant réellement existé, on rivalise difficilement avec Mata Hari. Peut-être Henri VIII d’Angleterre a-t-il le niveau pour avoir une histoire mêlée de réels et de fantasmes. Mais à peine 100 ans après son exécution à Vincennes (1917), Mata Hari a déjà eu le temps de devenir un personnage dont le mythe est peut-être beaucoup plus charmeur que la réalité. S’il me fallait résumer la vie de Margaretha Gertrud Zelle épouse MacLeod divorcée, je pourrais tracer un schéma de ce type :

Margaretha Zelle Margaretha MacLeod Mata Hari Margaretha Zelle MacLeod Margaretha Zelle MacLeod
Enfant gâtée Épouse capricieuse Escroc diva dépensière MILF espionne cruche Dans la merde

Mata Hari aurait pu avoir une retraite tranquille, elle a préféré être espionne

mata-hari C’est assez cruel, mais c’est l’effet que m’a fait cette biographie romancée. Née aux Pays-Bas à Leuwarden, Margaretha est l’aînée d’une famille où le père subvient aux besoins de tous. Chapelier, il s’improvise baron au besoin et traite sa fille comme une véritable princesse, un peu comme dans princesse Sarah, alors qu’il n’en a pas vraiment les moyens. À la mort de Madame Zelle, Margaretha est envoyée dans un pensionnat pour jeunes filles aisées où elle reçoit une éducation exemplaire. Elle maîtrise ainsi plusieurs langues et apprend le piano. C’est également une excellente cavalière, autant de qualités qui lui serviront plus tard. Désireuse d’être autonome, elle prend la voie de l’indépendance coutumière à cette époque : le mariage.

Elle épouse ainsi Rudolph MacLeod de 19 années son aîné. Ils ont deux enfants dont le premier décède à la suite d’un empoisonnement pendant leurs séjours en Indonésie où était affecté Rudolph. On soupçonne la nourrice d’être l’empoisonneuse, mais colérique et violent, Rudolph rejète toute la faute sur Margaretha qui en jeune femme de son âge aime beaucoup s’amuser, flirter avec les autres officiers, et trémousser ses fesses dans les salles de bals. C’est à cette époque qu’elle se familiarise avec les coutumes orientales. Divorce, rejet par la société, c’est une femme célibataire qui arrive à Paris dans l’espoir d’être entretenue par les hommes aisés. Mais comme Fantine dans Les Misérables, elle est forcée à retourner chez elle en Hollande où elle s’adonne finalement à la prostitution, sans que son père adoré ne le sache. Elle retourne à Paris, fait carrière en tant que danseuse orientale sacrée en bernant tout le monde.

Lorsque sa carrière est en déclin, elle accepte de travailler pour les services secrets allemands mais ne fait rien pour eux. Elle n’avait alors accepté que pour recevoir l’acompte promis. Elle travaille finalement pour les renseignements français qu’elle veut réellement aider mais prise à son propre jeu, et pas vraiment douée en espionnage, les Allemands complotent contre elle pour créer des preuves qui la feront fusiller par les Français par la suite. La biographie nous encourage à croire que Margaretha Zelle MacLeod dite Mata Hari aurait pu rendre de réels services à la France si on lui avait fait confiance. Malheureusement la France avait tellement peur de ses ennemis intérieurs que Mata Hari fut fusillée pour l’exemple. Elle servit ainsi d’exemple tant pour les Français que pour les Allemands.

Une biographie romancée qui manque de sources

Je ne doute pas de la qualité de la biographie ni du fait qu’elle soit documentée. Prise plusieurs fois en référence, la biographie écrite par Anne Bragance n’est certainement pas la plus mauvaise qu’on ait pu écrire sur Mata Hari. Cependant, j’ai regretté quelques manques de détails lors de citations de noms de personnes ou d’extraits de journaux. J’ai effectivement tendance à croire que lors la lecture d’une biographie, aussi romancée qu’elle puisse l’être, on a besoin de détails permettant de faire confiance en ce qu’on lit. Ainsi j’ai regretté des passages où “un journaliste anglais” parle mais sans savoir dans quel journal et à quel date. Or la profusion de détails dans les derniers chapitres certainement très documentés grâce aux différents compte-rendus sur l’affaire Mata Hari, m’ont incitée à me demander si le début du roman n’était peut-être pas un peu trop mêlé de fiction. Les premières pages ont été en ce sens difficiles car l’auteur prête des sentiments et décrit des scènes qui nous permettent de comprendre le tempérament des personnages. Mais comment être certain de ces tempéraments ? Ceci est bien dommage car lors de la lecture d’une biographie, nous connaissons tous la fin et c’est le chemin qui est le plus intéressant. Ici quelques précisions auraient pu m’aider à mieux accrocher à la lecture car trop de fois je me suis mise à douter de ce que je lisais.

Pourquoi se souvient-on d’elle ?

J’ai envie de croire que c’est le fait d’avoir fusillé Mata Hari qui l’a rendue célèbre au point d’être encore une légende plusieurs décennies plus tard. Exécutée pour l’exemple, la France a décidé de faire de Mata Hari un symbole de l’espionnage et de l’ennemi de la nation. Ni Allemande ni Française, Mata Hari était la tête de turc parfaite pour que les deux camps construisent autour du personnage déjà réputé comme étant une menteuse une fable d’espionne courtisane qu’on aurait réussi à mettre derrière les barreaux. Les éléments qui aurait pu la disculper étaient eux mêmes dangereux. Comment admettre publiquement en lui accordant la vie sauve que la France pouvait lire et décoder les communications allemandes ? C’est hors de question, condamner Mata Hari satisfera tout le monde. Margaretha Gertrud Zelle MacLeod a été tout simplement piégée et présente au mauvais endroit au mauvais moment, alors qu’elle aurait pu rester en territoire neutre pour prendre chaque jour le thé avec la bourgeoisie hollandaise tout en se satisfaisant de sa magnifique carrière de danseuse. La biographie d’Anne Bragance nous décrit une femme dévorée par l’ambition et particulièrement têtue. Son ambition est désormais satisfaite, car nous ne sommes pas prêts d’oublier Mata Hari.

Images : Album Reutlinger de portraits divers, vol. 39, 1875-1917, Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b85969386 

Anne Bragance, Mata Hari, éd. Belfond, 19,00 €


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