Manifeste pour une communication sincère.

À force de travailler dans le monde de la communication et du marketing, je commence aussi à façonner mon avis sur ce que j’aime ou ce que je n’aime pas. J’essaie de faire la différence entre mes goûts et les besoins, surtout. Parfois, ce dont on a besoin n’est vraiment pas ce qu’on apprécie le plus. Comme pour tout dans la vie. Cependant, il y a quand même quelques méthodes de communication qui me hérissent les cheveux comme s’ils cherchaient à battre Elon Musk dans sa conquête de l’Espace. Alors je le dis : je ne supporte pas les fausses histoires.

Parlons des carnets Moleskine, par exemple. L’usage de carnet de notes et plus particulièrement de ceux avec une couverture rigide et douce (mole & skin = peau de taupe) abrite une véritable histoire. C’est celle de cet usage, habitude et routine d’énormément de personnes qui consiste à prendre des notes et surtout des notes de façon nomades. Partout, ou que nous soyons, nous pouvons noter et écrire, et pour de multiples objectifs différents. Certains veulent rédiger le roman qui révolutionnera la littérature contemporaine, d’autres cherchent juste à coller des tickets de caisse. Mais ce qui m’irrite vraiment dans la communication de Moleskine, c’est cette sombre histoire avec Hemingway. Oui, certainement qu’Ernest a utilisé des carnets, mais pourquoi ceux-ci en particulier, et pourquoi de la façon dont on le raconte, on sème dans le cerveau du client que ce serait spécifiquement ce carnet Moleskine là, précisément. Certes Ernest fut certainement un écrivain pas mauvais du tout, mais ce n’est en plus pas non plus la personne à laquelle j’ai très envie de m’identifier. À l’inverse, quand j’ai appris que Virginia Woolf (idole) utilisait des carnets fabriqués pour elle, initialement bricolés en reliant des pages volantes, j’ai aussi pris du recul. Je me sens également moins embarrassée par mes feuilles A4 pliées en deux que j’agrafe quand je trouve que ce tas de papiers mérite de devenir un objet.

C’est aussi une réflexion que j’ai eu en explorant les possibilités du carnet de voyage. Le carnet de voyage, c’est une pratique que j’ai depuis une bonne décennie et qui a grandement évolué. D’abord croquis extérieurs seulement, maintenant c’est un patchwork de tout : écriture, dessin, collage… pourvu que je parvienne à construire à outil pour me souvenir de cette journée annotée. Puis je me suis rendue compte que de nombreuses personnes, pour l’amour de l’esthétique du carnet de voyage, en réalisait sans avoir voyagé. Je ne parle pas tant de voyage que d’expérience. Parfois je note et commente aussi les choses que j’ai faites en bas de ma rue car j’ai simplement envie de m’en souvenir ou que je sais que cela me servira un jour pour quelque chose d’autres. Ces souvenirs sont aussi des sources d’inspiration, des jalons pour me remémorer des choses que j’ai apprises, des expériences que j’ai vécues. C’est la pratique que j’ai.

Je comprends le loisir créatif de réaliser du collage de faux tickets de caisse et de reçus vides. Ce sont aussi des exercices de composition visuelle. Mais au fil de mes pérégrinations mentales, j’en suis arrivée à une sensation qui gratte les neurones. J’ai enfin compris ce qui m’irritait dans certaines campagnes de communication.

Voici également une réflexion que j’ai eue en lisant Le mythe de l’entrepreneur par Anthony Galluzzo, maître de conférence à l’université de Saint-Étienne.

— Une seconde, j’ouvre mon carnet pour retrouver mes notes à ce sujet. —

Anthony Galluzzo commente par exemple la stratégie de communication de Thomas Edison (1847-1931) en montrant à quel point l’inventeur montrait aux journalistes ce qui l’arrangeait pour exposer son travail sous son meilleur jour et surtout susciter chez son audience une attente… comme celle que je ressens devant la perspective de voir la nouvelle saison de Rick & Morty.

Edison savait entretenir l’excitation et le suspense chez les journalistes, et leur laisser croire qu’il avait bien plus réussi que ce qu’il avait accompli en réalité. L’essentiel pour eux n’était pas, de toute façon, de vérifier la scientificité de ses assertions, mais d’alimenter le feuilleton de cet inventeur haut en couleur.

Anthony Galluzzo, Le mythe de l’entrepreneur, édition Zones, 2023 (dispo ici et ici)

Casseroles portées par Thomas Edison mises à part, il se présentait constamment sous son meilleur jour. A priori il a quand même inventé des choses et ça faisait tout de même partie de son travail de réaliser des cherches. Alors quelle est la différence ? Pourquoi j’accepte relativement bien la démarche d’Edison et je ne supporte pas celle de Moleskine ? Parce que j’ai le sentiment qu’ils m’ont menti. Dire que Hemmingway a utilisé des Moleskine, c’est faux. Dire qu’il a utilisé des carnets de ce style, c’est vrai. Pour moi la nuance est importante.

Le mythe de l’entrepreneur

C’est à ce moment que je réalise bien que je ne cherche pas la vérité, mais la sincérité. Pour moi en communication, la frontière entre composer une histoire avec des faits réels et s’inventer une vie est mince. Alors de façon absolument snobe, j’ai développé une allergie à tout ce qui peut me donner le sentiment d’une histoire inventée juste pour vendre quelque chose. L’inspiration oui, l’hommage oui, le mensonge non.

J’ai ressenti cette colère lorsque je me suis arrêtée sur la route pour le déjeuner et qu’un restaurant portant le nom d’une personnalité de la lutte anti-raciste. Les noms des plats sont des clins d’œil non dissimulées à d’autres grandes figures des luttes sociales et on pouvait même acheter des tee-shirts ou autres à l’effigie de ces personnalités. Tellement matraquée visuellement par toute cette chevalerie pour la promotion de la tolérance au sein de l’humanité, je suis allée sur le site Web de la franchise. Et là, je vois que leur initiative RSE est de planter des arbres. Ils communiquent et attirent la clientèle via la promotion de la lutte sociale, en se créant une identité basée sur le nom d’une des figures les plus emblématiques de l’histoire… tout ça pour planter des arbres ? Un don à la LICRA aurait été un minimum. Oui c’est bien de planter des arbres, mais encore une fois, je me suis sentie dupée.

Au final évidemment, chacun fait ce qu’il veut. Au moins, essayez juste d’être un peu plus sincère dans ce que vous racontez. Vous verrez aussi que cela fait beaucoup de bien.


Les extraits de carnet de voyage proviennent de mon journal personnel.


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