L’angoisse du monde

Parfois dans les transports en commun, on rencontre ce que j’appelle les “encombrants bavards”. Ces derniers souffrent d’un dangereux syndrome, celui de trop discuter avec des inconnus dans les transports en commun.

Je peux parler à la basse population dans les transports (ça c’était pour oublier que j’étais minuscule) mais cela s’arrête souvent à la météo du moment parce qu’ils n’ont pas allumé la clim du train, ou bien nous parlons du nouvel aménagement de la gare… Dans tous les cas, la conversation est contextualisé.

Et parfois, tu as LA personne qui d’un coup te racontera sa vie. Et là, manque de chance ou heureux hasard, je tombe sur un étudiant qui veut entrer en école de journalisme. Je ne sais pas pourquoi il me dit ça, mais tant qu’à faire, je lui réponds que justement j’en ai fait un peu en Infocom. Et là, bam, il voit que je suis intéressée, que je peux éventuellement écouter et jouer un peu d’empathie.

Blablablablabla… Il commence.

– C’est affreux, je crois que je n’en peux plus. Je ne sais rien du monde et je me prétends vouloir être journaliste. Je ne sais même pas ce qui se passe !

Que voulez-vous que je réponde à cela ? Je reste muette les yeux légèrement écarquillés pour avoir l’air étonnée. Chose pas tout à fait fausse car je ne comprenais rien. Voyant l’air bête que je lui témoignais, il continue.

– Je ne savais même pas qu’il y avait eu quelque chose en Norvège ! Et encore, même maintenant, je ne sais pas trop ce qui s’est passé. Et Eva Joly ? Qu’est-ce qu’elle a Eva Joly ? C’est qui déjà ?

Effectivement, il était mal en point, je le vois tordre ses doigts.

– C’est une honte, comment est-ce que j’ai pu en arriver là ? Il y a 2 ans j’étais Monsieur Info. Je savais tout avant tout le monde ou au moins mieux que tout le monde. Je connaissais les méandres et les détails de chaque actualité. Maintenant j’ai l’impression qu’on a posé une barrière entre le monde et moi. Mais c’est complètement ironique moi qui passe mon temps à préparer des concours. Comment ai-je fait ?

En tout cas, il parlait assez bien. Ce n’était pas un de ceux qui se veulent nouvel écrivain et qui font une faute à chaque phrase.

– Peut-être ai-je justement trop travaillé. Peut-être ai-je trop réfléchi plutôt que de me lancer dans ce qui m’intéresse et ce qui m’a fait choisir cette voie. C’est les concours, leur pression, le stress que cela engendre. On pense bien faire mais on opère inconsciemment une fuite en avant en éclipsant des choses. J’avais déjà bien trop de soucis, alors le soucis du monde ? J’avais déjà mon angoisse des examens, ma peur de n’être retenu nulle part (ce qui a finalement été le cas), alors qu’est-ce que j’en ai à faire de l’angoisse du monde ?

À court d’inspiration, je lui ai répondu “peut-être” et je suis descendu du train. Il me remercia dans un souffle comme s’il venait de comprendre qu’il s’était un peu emporté avec une inconnue.

Devant la gare, je m’arrête au kiosque pour prendre un journal et me nourrir un peu des nouvelles internationales. Cet étudiant m’a donné envie de m’informer. Le premier journal que j’empoigne titre : “En larmes et en silence, la Norvège honore ses morts”, “Violents heurts au Caire entre partisans et adversaires du régime”, “Plus de trente morts dans une collision entre deux trains en Chine”, “Dette : la Maison Blanche appelle le Congrès à ne pas jouer avec le feu”.

Déprimée, je repose le journal et rentre chez moi.


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