Les supports où les esprits s’expriment

Mon habitude d’écrire mes pensées datent au moins de l’école primaire. Je ne sais pas si j’ai envie de les retrouver, mais j’ai tapé et imprimé des réflexions entre 1998 et 2000 où je parlais de la fin du monde. J’y étais déjà très pessimiste et pour moi les catastrophes telles que le naufrage du pétrolier Erika et la tempête de fin décembre 1999 étaient des indices qui ne pouvaient pas nous tromper. Je me souviens encore de ces images à la télévision avec des flaques de pétrole épaisses et collantes qu’une personne essayait de ramasser avec une pelle. Je me souviens aussi de la nuit du 26 décembre 1999 et des couloirs d’arbres tombés. Nous habitions à l’orée de la Forêt Régionale de Ferrières et je dormais dans une chambre sans volets. Les nuits de mon enfance furent bercées par les mouvements des cimes des arbres et des songes éveillés dans lesquels les silhouettes dessinées par les rameaux discutaient avec mon subconscient. J’en rêve toujours, de cette forêt, que je voyais chaque matin depuis ma fenêtre. La nuit dernière encore. 

Bien que j’ai changé de support au fil des années, je pense que je n’ai jamais cessé d’écrire ou de prendre des notes. Sous la forme de pensées rédigées comme ici ou avec des bribes de phrases dont j’espère retrouver le sens plus tard. Il n’est d’ailleurs pas rare que j’interrompe le flux de mes pensées en pleine réunion juste pour me demander la manière dont je vais noter cette information, afin d’être certaine d’en retrouver le sens lorsque j’y reviendrai. Retraiter l’information dès son esquisse, voici un exercice pas toujours simple.

« Voici annonce, Voilà résume. » Une phrase énoncée par une maîtresse de conférence en littérature comparée et qui m’aide aujourd’hui à utiliser à peu près correctement cet introducteur. Je crois que cela s’applique aussi à « ceci » et « cela ». C’est du moins la façon dont utilise ces mots maintenant.

Ces derniers jours, mon attention fut beaucoup tournée vers Twitter. Malheureusement je fus un peu plus touchée que je ne pensais par les publications d’une personne qui, visiblement, ne m’aime pas beaucoup. C’est peut-être même un euphémisme et je ne m’attendais pas vraiment à recevoir autant d’attention. Surtout que même si je publie régulièrement et que je m’expose personnellement et professionnellement, je vis tout cela avec des oeillères et la certitude que cela ne change pas grand chose à ma vie. Je suis d’ailleurs toujours surprise quand une personne relève une coquille laissée dans un de mes billets pour m’envoyer un sympathique message afin que je puisse la corriger. Pas que je sois étonnée de faire des fautes, cela arrive régulièrement… heureusement on peut corriger. Ce qui me parait inattendu, c’est le fait que des personnes lisent avec assez d’attention ce que je raconte ici pour voir les fautes et même penser à me les signaler. Je ne trouve cela ni flatteur ni inquiétant, juste assez bizarre. 

Aujourd’hui j’écris toujours énormément. D’une part dans le cadre de mon travail pour prendre des notes ou tenter de rédiger des choses avec un peu de consistance. D’autre part pour garder la trace de l’avancement de mes pensées et espérer que cela se termine un jour en une conclusion intéressante ou au moins à une synthèse qui pourra me faire avancer autre part. Parmi les conseils que l’on donne pour tenir un blog – cela n’arrive plus, plus personne ne veut tenir de blog en 2022 – il y a celui d’écrire pour soi. Je me suis rendue compte ces dernières semaines que je n’ai toujours fait que cela. Peut-être est-ce la première explication de la longévité de ce nom de domaine. Mais bien que je puisse expérimenter des choses ou m’adresser à des personnes en particulier, je réalise que je n’écris effectivement que pour moi. Même en conférences, je ne parle que pour moi. Tout cela n’est que le compte-rendu de pensées et de réflexion que je mène en fil rouge. Je réalise que je partage très peu de conseils, de conclusions ou de consignes, mais uniquement le parcours traversé. Je note les embûches, je raconte comment j’ai surmonté un obstacle et parfois j’obtiens un dénouement mais qui n’est finalement valable que pour moi-même. Cette démarche, elle m’est utile et je crois qu’elle est souvent appréciée justement en raison du fait que je sais très bien que ce ne sont que des expériences parmi d’autres. Peut-être vivez-vous tout autre chose. De mon côté, ce sont ces expériences qui m’aident à apprendre et à continuer mon chemin. Sans doute est-ce pour cela que je fronce toujours légèrement les sourcils d’incompréhension lorsque je me retrouve en face d’un discours qui paraît un peu trop péremptoire à mon goût. Ou à la limite du dogmatique. 

En ce moment je lis Chez soi de Mona Chollet. Cette lecture me réconcilie avec ma tendance casanière du moment où je ressens le franc besoin de me ressourcer dans des lieux calmes et des espaces maîtrisés. Pas forcément chez moi d’ailleurs, mais l’importance d’avoir son antre pour ne rien faire, laisser divaguer ses pensées et se laisser surprendre par une idée, c’est sans aucun doute une des activités qui me ressource le plus. Il est fort à parier que cet ouvrage fasse partie de ceux que je lise et relise. D’ailleurs, plus je parcours ce type de livres, plus je sais que si je dois publier quelque chose, je serai essayiste

Je parlais de Twitter. Avec l’annonce d’une possible chute de Twitter, j’ai fait comme beaucoup de personne et j’ai créé un compte Mastodon en late adopter. Le fait que je sois d’ailleurs dans le camp des opportunistes avec une inscription tardive montre probablement que je ne suis plus si jeune que ça. J’ai appris récemment le mot anglais « venting ». « To vent » en anglais, ce serait le fait de vider son sac. Or parmi les choses que je lis, j’ai aussi lu le conseil de vent dans des journaux pour se faire du bien. Vider ses pensées, relâcher ce que l’on contient. C’est plutôt utilisé pour parler des pensées négatives mais cela peut aussi évoquer l’idée d’exprimer ses passions. Or, lorsqu’on a cru que Twitter allait tomber quelques jours plus tard, je me suis sincèrement demandé ce que cela allait changer à ma vie. Et surtout à quoi me servait Twitter. J’y interagis avec certaines personnes avec lesquelles je garde le contact via ce réseau social, mais cela me permet aussi de jeter quelques idées, réflexions ou blagounettes pour lesquelles je ne trouve pas de public dans la pièce où je me trouve à ce moment. C’est là que j’ai réalisé que le fait de disposer d’un blog en ligne depuis l’adolescence, d’un compte Twitter (et Mastodon) étaient pour moi des outils pour faire du venting. J’espère que mon entourage se rend compte d’à quel point je les préserve en racontant ici, et dans mes journaux papier, tout cela. Au moins ils peuvent lire ou pas, et décider d’ignorer ces publications ou pas. Ces deux dernières phrases furent écrites avec beaucoup d’ironie car je crois qu’ils en ont toujours marre de moi (souvent). Cela renforce chez moi ce point de vue : l’image que l’on renvoie de soi est partielle. Dans la vie réelle ou sur un quelconque support du Web, ce n’est toujours qu’une des facettes de ce que l’on est.

Alors que les publications soient utiles à quelqu’un d’autre ou pas, qu’elles apportent quelque chose au monde ou non… peu importe ? S’exprimer fait partie de nos besoins et autant le faire de la façon qui nous paraît la plus appropriée. Bien sûr, cela n’enlève rien au niveau de vigilance que l’on doit avoir lorsque l’on publie quelque chose en sélectionnant les informations diffusées et sur quels supports, à destination de qui. Je ne vous parle même pas du fait de devoir rester polis et dans le cadre de la légalité, c’est encore une autre histoire. Surtout quand la notion de légalité est toute relative. Et pas d’inquiétude, s’il n’y a plus Twitter, ce sera peut-être une bonne occasion de commencer un journal ou de créer des groupes What’s App avec des copains.


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